Les poissons utiliseraient les oiseaux pour coloniser de nouveaux endroits, selon une étude
La façon dont certaines espèces d’insectes et de poissons surmontent certains obstacles à leur dispersion (proliférant dans des endroits impossibles à atteindre par eux-mêmes) a longtemps été un mystère. L’une des hypothèses formulées était que les poissons utilisaient les oiseaux pour coloniser de nouveaux endroits.
Une étude a testé cette hypothèse pour la première fois de manière scientifique, afin de comprendre comment des espèces si limitées par leur localisation se développent. Si vous voulez en savoir plus sur cette fascinante découverte, poursuivez donc votre lecture !
Les killies, de grands survivants
Les poissons killies (Nothobranchius furzeri) habitent des étangs saisonniers situés au Zimbabwe et au Mozambique. À la fin de la saison des pluies, ces accumulations d’eau s’assèchent et les poissons meurent. Grâce à quelle stratégie ont-ils évité l’extinction s’ils ne peuvent pas respirer hors de l’eau ? Comment est-il possible qu’ils réapparaissent chaque année ?
À la fin de son cycle de vie, le killi fertilise ses œufs et les enfouit dans la boue, où ils resteront jusqu’à la prochaine saison des pluies. Ces œufs sont connus des scientifiques pour leur grande résistance : déjà en 2019, il a été prouvé qu’ils sont capables de traverser le tube digestif des canards, de retourner dans l’environnement via les excréments et éventuellement d’éclore.
Après avoir découvert que ces poissons pouvaient utiliser les oiseaux pour coloniser de nouveaux endroits, les scientifiques ont voulu continuer à explorer cette voie. Dans la section suivante, nous vous présentons l’étude la plus récente sur ce sujet.
Ces poissons pourraient utiliser les oiseaux pour coloniser de nouveaux endroits
Le pouvoir des oiseaux en tant qu’agents de dispersion des graines et des œufs n’a pas été découvert récemment. En fait, cela fait partie des stratégies de dispersion de nombreuses plantes et invertébrés pour un oiseau de manger les graines puis de les déféquer. C’est ce qu’on appelle l’ endozoocorie.
À la Station biologique de Doñana (EBD-CSIC), des professionnels étudient depuis 2 décennies la capacité des canards, des échassiers, des goélands et des cigognes à disperser les plantes aquatiques et les invertébrés. Au début, on pensait que la principale voie de transport était les pattes et les plumes de ces oiseaux, mais il s’est avéré que c’était leur système digestif.
Les oiseaux ingèrent les propagules d’autres organismes avec leur nourriture puis les évacuent ailleurs, les dispersant sans mettre fin à leur viabilité biologique.
L’expérience
Avec le cas du killie en tête, une expérience a été menée pour voir si l’endozoochorie pouvait servir de méthode de dispersion pour d’autres poissons. Grâce à cette approche, il a été constaté que les œufs de la carpe commune (Cyprinus carpio) et du carassin argenté (Carassius gibelio) peuvent également survivre dans le système digestif des canards.
La procédure consistait à nourrir plusieurs canards colvert (Anas platyrhyncho) avec un total de 500 œufs de chaque espèce de carpe. Les résultats obtenus lors de la collecte de leurs excréments ont été les suivants :
- Des œufs vivants ont été trouvés dans les excréments de 6 des canards utilisés.
- 18 des œufs ingérés ont été récupérés intacts dans les fèces des canards. Certains ont mis jusqu’à 4 heures pour parcourir tout le tube digestif.
- Sur ces 18 œufs, 12 contenaient des embryons viables.
- La plupart des œufs ont perdu leur viabilité en raison d’infections fongiques avant l’éclosion.
- Une carpe commune et deux carcassins argentés ont éclos avec succès.
Ainsi, la réponse est oui : les poissons peuvent utiliser des oiseaux pour coloniser d’autres endroits. Toutefois, il reste à clarifier la raison de la survie de certains œufs par rapport à d’autres. Les chercheurs s’aventurent à postuler que c’est peut-être parce que la digestion des canards n’est pas très efficace, c’est pourquoi ils défèquent parfois des œufs non digérés.
Les applications de l’étude
La carpe commune est répertoriée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme l’une des 100 espèces envahissantes les plus nuisibles au monde. Le carcassin argenté, quant à lui, est une espèce invasive qui se développe depuis peu dans la péninsule ibérique, ce qui commence à susciter des inquiétudes.
De plus, dans le cas du carcassin argenté, l’éclosion d’un seul œuf dans un nouvel endroit pourrait donner naissance à une nouvelle population, puisque les spécimens peuvent se reproduire de manière asexuée sans qu’un mâle ait besoin de féconder une femelle. Il s’agit d’un facteur de risque supplémentaire lorsqu’il s’agit de contrôler les populations de ces espèces envahissantes.
Le taux de mortalité des alevins de carpes est élevé. Ainsi, un seul œuf dans un milieu aquatique ne garantit pas l’établissement d’une population.
Cependant, leur présence a aussi un côté positif : la propagation des espèces de poissons envahissantes est, certes, un danger, mais cela représente aussi un espoir pour les êtres vivants en voie de disparition. La réintroduction d’animaux et de plantes aquatiques dans des milieux où ils ont disparu peut être rendue possible grâce aux oiseaux migrateurs.
Quoi qu’il en soit, ces études n’entrevoient que la pointe de l’iceberg de ce processus d’endozoochorie. Tant pour contenir les populations invasives que pour disperser les populations menacées, des recherches supplémentaires seront nécessaires. À mesure que le temps et la science avancent, de nouvelles lueurs d’espoir apparaissent quant au rétablissement de l’équilibre de la nature.
Toutes les sources citées ont été examinées en profondeur par notre équipe pour garantir leur qualité, leur fiabilité, leur actualité et leur validité. La bibliographie de cet article a été considérée comme fiable et précise sur le plan académique ou scientifique
- Silva, G. G., Weber, V., Green, A. J., Hoffmann, P., Silva, V. S., Volcan, M. V., … & Maltchik, L. (2019). Killifish eggs can disperse via gut passage through waterfowl.
- Lovas-Kiss, Á., Vincze, O., Löki, V., Pallér-Kapusi, F., Halasi-Kovács, B., Kovács, G., … & Lukács, B. A. (2020). Experimental evidence of dispersal of invasive cyprinid eggs inside migratory waterfowl. Proceedings of the National Academy of Sciences, 117(27), 15397-15399.
- Silva, G. G., Green, A. J., Weber, V., Hoffmann, P., Lovas-Kiss, Á., Stenert, C., & Maltchik, L. (2018). Whole angiosperms Wolffia columbiana disperse by gut passage through wildfowl in South America. Biology letters, 14(12), 20180703.
Ce texte est fourni à des fins d'information uniquement et ne remplace pas la consultation d'un professionnel. En cas de doute, consultez votre spécialiste.